Mustapha Douaidi - Le dilettante

Mustapha Douaidi - Le dilettante

Oranais jusqu’au plus profond de son être, toujours à la recherche de l’objet rare, de l’insolite, Mustapha Douaïdi est au carrefour de toutes les passions..
Notre hôte a la quarantaine ? La cinquantaine ? Sa jovialité, son sourire indélébile marquent une jeunesse d'esprit et une sagesse d'érudit qu'il dégage dans une simplicité décontractée. Au programme qu'il nous avait concocté, on n'a pas eu peine à deviner son attachement à tout ce qui tient au fait culturel. Il nous propose, en début de visite, le Fort de Santa Cruz, l'Eglise de la Sainte Marie, la Casbah...

Iconoclaste, désintéressé, excentrique, dilettante, quel substantif, quel qualificatif siérait à ce personnage hors normes? Ingénieur en hydrocarbures, collectionneur, chineur, brocanteur, historien, homme de culture, philatéliste connu mondialement et enfin, sportif de haut niveau, un des rares pratiquants du parapente. À propos de cette discipline sportive, peu connu en Algérie, Mustapha nous a raconté le jour où il a proposé d'effectuer un saut de Santa Cruz pour atterrir sur la Place d'Armes, à l'occasion d'une visite présidentielle. «J'ai proposé, de descendre en déployant les deux drapeaux, algérien et espagnol ! Bien sûr, les autorités locales m’ont pris pour un fou »

Ce fou de la culture en veut un peu aux «arrivistes» qui on fait de cette ville historique un «dépotoir» Mais qui se soucie de l'historicité de cette ville ? « Ici, on s’adonne à l’orgie, à l’ivresse du matériel. Le spirituel l’art, l'authenticité, tout cela n'est plus de cité » conclut notre hôte. Mustapha Douïadi vit au bord de la mer, isolé et éloigné de tous. «Cette maison, dit il, je l'ai construite sur un garage que j’ai acheté ». Le garage en question est agrippé à un récif, un bout de falaise, juste sur quoi coller des murs et épouser le bord de mer en longueur.

Avant de nous introduire chez lui, il insista pour nous présenter, son autre passion, la pêche. Au bas de sa demeure, son port privé, «Gagné sur la mer!» s'exclama t-il, les vagues venaient mourir en ressac, de leurs langoureux clapotis, à même les fondations. Une barque était prête à mouiller, suspendue à une espèce de rail sur une pente un treuil de fortune qu'il s'était confectionné une autre était en réparation dans un mini atelier où deux moussaillons le rafistolaient. «Tu n’as pas peur du déchaînement de la mer en hiver?», avons nous demandé. «Aucunement! Nous sommes des poissons, nous autres!», répondit il.

«Je crois que je me présenterais bien aux municipales de la ville d’Arzew. C'est l'unique façon de faire changer les choses!», dit-il sans trop de conviction. L'occasion de se porter candidat à ce poste lui a été offerte, mais il a décliné.

Chez lui, dans son musée, il aborda l'histoire de l'Algérie, du Sahara, de la planète... de cette météorite qu'il est le seul à détenir, de ses coquillages: un céphalopode, une ammonite fossilisée à l'état primaire, un mollusque qui a vécu à l'époque du Jurassique. Son évolution naturelle à travers les années, tient dans son tiroir de 2 m2 qu'il a ouvert avec mille précautions. «Ces petites choses ont été trouvées aux portes du désert, ce qui prouve que dans les temps reculés, le désert était une mer». Les bouts de flèches en silex bien taillé, le premier briquet de l'homme, pièce authentique et rare: tout y était! Le réceptacle en pierre polie, un trou au centre, la tige servant au frottement, un adaptateur en pierre pour maintenir droit la tige et obtenir une bonne force centrifuge à même de provoquer l'étincelle. Des statuettes représentant un roi berbère, une reine, des personnages taillés dans du granite, les ustensiles de l'époque, travaillés avec raffinement inimaginable, une collection de lampes à huile romaines...

Là, il nous lança le défi de reconnaître ces machines bizarres qu'il s'est ingénié à réparer et à rendre fonctionnelles. «Tout fonctionne ici ! », aimait-il à répéter. La pièce qu'il nous a présentée nous a laissés tous perplexes: Un beau petit meuble que nous avions pris pour un orgue de Barbarie, puis pour un moulin à café... Ni l'un ni l'autre! C'est, en fait, un instrument qui sert à battre le lait, une baratte. L'autre machine en bois n'était autre qu'une glacière... Sa collection de montres à gousset est tout simplement époustouflante. Les unes en or, les autres en argent. L'une d'elles sort du lot avec un cadran émaillé. Elle aurait appartenu, selon lui, à Napoléon Bonaparte! Son remontoir est en opale. Toutes marchent! Pas une n'est en panne! Certaines appartiennent aux chemins de fer, aux compagnies des eaux, aux hommes riches, dignitaires... datées d'au moins un siècle. Sa collection de cannes est à couper le souffle. Il pose avec chacune d'elles et chacune d'elles nous livre ses secrets: En plus de l'élégance qu'elles procurent elles redeviennent, par un tour de passe-passe, une arme redoutable, baïonnette pour l'une et arme à feu pour l'autre.

Mais à propos d'armes à feu (de collection, il faut bien le préciser) les différents calibres, les différentes formes qu'il nous a présentés, déroutent les amateurs. Un arsenal d'armes anciennes traversant les époques, à percussion avancée, des pistolets doubles canons, armes des Espagnols lorsqu'ils sont entrés dans Oran entre 1510 et 1520, là c'est ce qui est appelé «un traquenard», une an ne équipée d'un mécanisme qui se déclenche si un intrus entre dans une demeure par effraction. Des glaives romains, des épées de la cavalerie française, les épées des El Mouahidines qui ont servi pour la conquête de l'Andalousie ... Dans cette impressionnante collection de sabres, de dagues et d'épées, les pièces impossibles qu'il nous a mises dans les bras avec précaution et amour n'étaient pas moins que les propres sabres des frères Barberousse! Rien que ça! Ensuite, notre hôte, s'intéresse à un objet insolite: les chaînes authentiques d'un forçat de Cayenne. «L'unique objet qu'il a rapporté en quittant le bagne, après avoir purgé sa peine de 25 ans pour avoir volé un morceau de pain pour ses enfants. L'original! Confectionné avec de grosses douilles d'armes de guerre: «Un moulin à café auto-réglable, l’unique ! Breveté ! » affirme notre hôte avec assurance.

Ses pipes, chacune nous raconte son histoire: le standing de l'Algérien du début du siècle dernier, l'oranais en particulier, l'élégance! Une canne dans une main, une pipe dans l'autre. Une pipe en résine. Une résine qui a besoin de cinquante millions d'année pour durcir! La tête de la pipe est sculptée sur une matière inimaginable: l'écume de mer solidifiée. Elle représente le buste du Dey d'Alger sculpté par un Algérien. Celle-là a été confectionnée par un Français d'Algérie le 13 mai 58 à l'effigie du général De Gaule, elle n'a jamais été utilisée. L'autre relique qu'il nous montre n'est autre qu’un drapeau maure, étendard des indigènes de l'Afrique du Nord. Tout un cours d'histoire sur les Carthaginois, les Numides, de Massinissa et Jugurtha, sur la Maurétanie césarienne de Juba I, Juba II ...

Vint ensuite le tour de ce bel objet en bronze: un plateau inspiré cri Syrie et fabriqué en Algérie, destiné au dernier calife de Cordoue qui devait l'offrir à Alphonse II, roi d'Espagne. Deux scènes sont représentées, gravées sur le plateau : une, musulmane et une, chrétienne. Preuve que l'on pouvait vivre ensemble.

Sa collection de billets de banque est non seulement rare mais les pièces qu'il nous montre sont magnifiquement conservées, paraissant sorties sur le champ, des rotatives. Le premier billet de 1000 DA a été fabriqué pour un sommet arabe qui devait se tenir à Alger et qui n'a pas eu lieu. Un logo y est imprimé. Le billet porte le N' 0. Toute une panoplie de billets remontant jusqu'au début du siècle où. sur chacun, époque après époque, sont magistralement dessinées, les scènes de toutes les régions d'Algérie.

Hélas, le temps nous a fait défaut. Deux ou trois jours sont nécessaires pour visiter « la caverne de Mustapha Douaïdi ». Notre ami, nous retient pour nous faire découvrir sa belle collection de timbres. Pas un spécimen ne manque! « On m'a contacté de tous les coins du monde pour des pièces uniques que je suis seul à posséder. Dans l'entrain, il passe en revue, quoique furtivement, les pièces de monnaie aux effigies de personnages historiques. Mais on ne pouvait quitter notre ami sans avoir admiré ses tableaux de peinture, tous de maîtres connus: Un Modigliani, Lui Monet, un Degas! Des chefs d'œuvres hors de prix, son florilège de statuettes de grande importance, en bronze, en marbre, en terre cuite... Tout est à voir chez lui, tout est à admirer, ses bibelots, ses automates qui déclenchent, au simple toucher d'un meuble, des musiques, des chants d'oiseaux, des fumigènes et des friselis d'écoulement d'eau. La cerise sur le gâteau fut ce moment délicieux, où, profitant d'une pause, il exécuta, à notre bonheur, deux tours de magie. Encore une facette de son immense talent, dans son escarcelle : prestidigitateur! Le troisième tour dont il nous a gratifié, il le destine à Patrick Sébastien pour son émission de divertissement. «Le plus grand Cabaret du monde».Musée magique époustouflant. Lieu à visiter.

Passerelles n° 33 Juillet 2008 p.16 à 19

Du : 01-07-2008
Source : Passerelles (Magazine)

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