Haro sur un timbre-poste

Haro sur un timbre-poste

Au lendemain de sa mise en vente, l’émission du 1+9 a soulevé un tollé général dans certains milieux nostalgiques. Pris de court par le fait que l’Algérie ait décidé d’émettre ses propres timbres-poste, ils ne sont pas allés de main morte pour jeter le discrédit sur cette figurine postale et empêcher qu’elle soit reconnue comme telle par l’Union postale universelle (UPU).

Une émission clandestine ! Une émission pirate !

Où ont-ils cherché le caractère clandestin de cette émission ? Clandestinité par rapport à qui ? à quoi ? En qualifiant cette émission de pirate, ses détracteurs ont assurément cherché à la dépouiller de tout caractère légal.

A la date de la sortie du timbre, le 1er novembre 1962, l’Algérie était un pays souverain qui jouissait de son indépendance depuis quatre mois. Le timbre n’est-il pas un des attributs de cette souveraineté ? Quoi de plus normal dans ces conditions que cet Etat ait émis sa propre vignette postale ? Quant au secret qui a entouré cette émission, outre le fait qu’il a été dicté par la situation sécuritaire (OAS) il fait partie des dispositions légitimement prises par l’Etat algérien pour décourager toute velléité de contrefaçon d’un timbre fortement surtaxé.

Une surtaxe abusive

La forte surtaxe de ce premier timbre de l’Algérie indépendante figure parmi les griefs dont se sont prévalus ces milieux nostalgiques pour contester le caractère strictement postal de ce timbre.

L’article RE 306, paragraphe 14 du règlement de la Poste aux lettres de l’Union Postale Universelle est l’unique article qui mentionne cette typologie bien particulière des figurines postales. Il stipule que '…lorsqu’une surtaxe est à payer indépendamment de leur valeur (timbres-poste) d’affranchissement, ils doivent être confectionnées de façon à éviter tout doute au sujet de cette valeur'.

'La surtaxe étant généralement destinée à subventionner une oeuvre caritative, elle est laissée à la discrétion de l’autorité postale émettrice. Celle-ci doit juger de son opportunité au regard de son importance en nombre dans le programme philatélique annuel, de sa valeur ainsi que de son accueil par l’usager de la poste qui reste en dernier ressort le meilleur baromètre puisqu’il supporte la charge de cette surtaxe'.

Il est vrai que dans ce cas de figure, la surtaxe fait neuf fois la valeur faciale (1 NF + 9 NF) rendant ce timbre un peu trop cher pour les bourses modestes. Cependant, la valeur élevée de cette surtaxe se trouve autant relativisée par le nombre assez limité d'exemplaires tirés (soit 12 825) que justifiée par l’ampleur de l’aide que l’Etat naissant devait apporter aux orphelins et veuves de Chouhada, victimes de cette tragédie humaine engendrée par sept longues années d’une guerre atroce.

Un timbre laid

Son papier de mauvaise qualité, sa dentelure irrégulière, ses couleurs pâles, l’austérité de son dessin ajoutés à ses nombreux défauts d’impression ont concouru à 'la laideur' de ce timbre. Ceux qui l’ont fait sortir, ne se sont guère embarrassés de préoccupations d’ordre esthétique, ils voulaient à tout prix être au rendez-vous du 1er novembre, une date historique qui approchait inexorablement et qu’il fallait célébrer. En outre, les moyens rudimentaires employés à sa production et les délais très courts impartis à son impression ne permettaient pas un résultat plus probant.

Mais ne se devait-il pas d’être laid à l’image de cette période de fin de guerre, de ses déchirures et de ses malheurs ?

Le 1+9 est un timbre rare, chargé d’histoire et quelle histoire ! Ces deux qualités lui tiennent lieu de beauté.

La rupture

Affreux, laid, clandestin, etc. tous ces qualificatifs qui expriment le rejet de ce timbre-poste ne trouvent leur véritable explication que dans la rupture que ce dernier est venu imprimer au paysage philatélique de l’époque. Cette figurine est venue bousculer un certain ordre cher à ses détracteurs et marquer une série de ruptures aussi brutales que saisissantes avec les timbres coloniaux qui l’ont précédé.

Rupture de style :D’abord par son grand format inhabituel (37 x 50 mm), ensuite par le style de son dessin qui n’a rien à voir avec la justesse du trait et la finesse de la gravure des timbres français, leurs belles couleurs, leur impression et leurs dentelures impeccables.

Rupture de langue :C’est celle qui a probablement attisé les facteurs de rejet dont a été victime ce timbre qui porte les mentions 'REPUBLIQUE ALGERIENNE DEMOCRATIQUE ET POPULAIRE' et '8ème anniversaire de la Révolution Algérienne' en langue arabe ignorant superbement la langue française, langue officielle du colonisateur et de tous ses timbres qui l’ont prédécès. De plus, il ne daigne même pas mentionner devant sa valeur faciale et sa surtaxe, les deux lettres 'NF' désignant le Nouveau franc, monnaie encore en cours en Algérie à l’époque. Les seuls caractères latins presque illisibles que le timbre affiche sont contenus dans la légende '1 nov 54 – 1 nov 62'.

Rupture de langage :Nous voilà au cœur du sujet. Le 1+9 est porteur d’un message éminemment politique en ce sens qu’il est là pour rappeler sans ambages une réalité que tout le monde vivait depuis déjà quatre mois sans vraiment y croire, certains sous forme d’une tragédie, d’autres comme un triomphe. L’Algérie a désormais changé de mains.

Le Cap n° 41 du 15 au 30 Avril 2010

Du : 15-04-2010
Auteur : Mohamed Achour Ali Ahmed
Source : Le Cap Magazine

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