Présentation

Six volumes d’une grande facture esthétique, rédigés en quatre langues : arabe, français, anglais et espagnol ; richement illustrés, agrémentés d’un DVD-Rom pour être dans le temps, le tout présenté dans un joli coffret gravé en lettres d’or : telle est L’Encyclopédie du timbre-poste d’Algérie (1) sortie le 5 juillet 2007 à l’occasion du 45ème anniversaire de l’Indépendance.

Édité par le ministère de la Poste et des Technologies de l’information et de la communication sur recommandation du président de la République Abdelaziz Bouteflika qui l’a préfacé, cet ouvrage luxueux, particulièrement attrayant répertorie et présente en couleur d’une façon chronologique toutes les valeurs postales algériennes émises de 1924 à 2006.

Le premier volume, essentiellement de présentation générale, traite succinctement de l’histoire de l’Algérie, de celle de la poste et du timbre. On y trouve également les biographies des différents ministres qui se sont succédés à la tête du ministère des PTT ainsi que celles des artistes qui ont dessiné les timbres algériens.

Par le texte et par l’image, à travers une présentation claire, aérée et colorée, les cinq autres volumes font défiler suivant un ordre chronologique plus de 1100 timbres émis par la Poste algérienne, accompagnés de leurs détails techniques et du texte de leurs notices originales, autant de fenêtres ouvertes sur l'Algérie, sa faune et flore, son patrimoine culturel et les moments forts qui ont jalonné le vécu de son peuple. Un patchwork coloré offrant un aperçu accessible et vivant de ses avancées technologiques, historiques et sociales.

La dernière partie du 6ième volume nous présente un inventaire des émissions de la période coloniale entre 1924 et 1958, une production philatélique qui a raconté à sa manière l’entreprise propagandiste coloniale de la France.

Le sujet du timbre
Voilà pour la forme. Quant au contenu, autant le dire d’emblée : cet ouvrage luxueux qui a coûté peu de temps et beaucoup d’argent est totalement hors sujet !
Le terme 'Encyclopédie' sous-entend que l’ouvrage en question contient une information détaillée à propos de chaque émission, des études monographiques sur les séries phares de notre philatélie, des études poussées sur notre histoire postale, etc. Une encyclopédie du timbre-poste doit être un ouvrage de référence auquel on se reporte avec la certitude d’y trouver tout ce qu’on peut chercher et un outil de travail permettant l’identification des timbres et des cachets.
Cet ouvrage en six tomes et quatre langues, qui pèse une vingtaine de kilos a été insidieusement confectionné et gonflé dans le but d’épater la galerie. Afficher le visuel du timbre, ses caractéristiques techniques incomplètes que nous pouvons trouver aisément dans le catalogue 'Le timbre-poste aux couleurs de l’Algérie indépendante 1962-2005' (2), flanqués du texte reproduit dans son intégralité de la notice ayant accompagné la sortie du timbre, et pour finir, assaisonner le tout de deux ou trois petits textes en rapport avec le sujet traité par ce dernier. Est-ce cela une encyclopédie ?

Les concepteurs de l’Encyclopédie du timbre-poste d’Algérie n’ont finalement retenu de ce dernier que le sujet qu’il traite à telle enseigne que les informations d’ordre philatélique et postal en rapport direct avec le timbre algérien y sont réduites à la part congrue pour ne pas dire inexistantes. Le timbre est-il réductible à son sujet ? C’est comme si en voulant consacrer une encyclopédie à l’œuvre de Picasso, ses rédacteurs se limiteraient à nous présenter la nature et les dimensions de ses créations pour ensuite nous abreuver de textes sur Guernica, la ville du nord de l’Espagne et sur la guerre civile espagnole (Guernica), sur le plus vieux métier du monde et la rue d’Avignon à Barcelone (Les Demoiselles d’Avignon) ainsi que sur l’anatomie des bovidés et l’historique de la corrida (Minotauromachie) ?!!

Est-il concevable qu’une encyclopédie du timbre-poste d’Algérie :

- omet d’indiquer le procédé d’impression des timbres qu’elle présente alors même qu’elle consacre un chapitre entier aux différentes techniques d’impression ?
- ne consacre aucun chapitre à l’historique du Service philatélique, à la fabrication des timbres-poste algériens, à l’imprimerie de la Banque d’Algérie, à la commission consultative, aux tarifs postaux, aux oblitérations, aux Enveloppes Premier jour, à la cotation des timbres algériens à travers les catalogues mondiaux, à l’historique de la philatélie algérienne, etc ?

- ne consacre aucun développement à notre histoire postale, aux timbres EA pas plus qu’aux séries phares de la production philatélique algérienne, ni à la genèse du 1+9, premier timbre-poste de l’Algérie indépendante ?

- ne dit mot sur les timbres au cadre rétréci de la série d’usage courant 'L’Algérie avant 1830', sur les non-émis de la Conférence Afro-asiatique, etc ?

- nous présente les timbres de 1987 sur le festival du théâtre amateur et ceux de 1997 sur le parachèvement de l’édifice institutionnel sans préciser qu’il s’agit de timbres se tenant ? (3)

Unique au monde

Pourquoi a-t-on cherché contre toute évidence à faire croire que la publication d’une telle encyclopédie est une première mondiale ? Cette propension à vouloir, chez nous, glorifier à coups de superlatifs pompeux le plus banal des événements a quelque chose de maladif qui fausse les appréciations les plus pertinentes. Que les concepteurs de ce 'chef d’œuvre' (dixit le dépliant d’Alpha Design) sachent que de nombreux pays ont publié leurs encyclopédies du timbre bien avant nous. Je citerai juste deux exemples : Le 1er tome de 'l’Encyclopédie des timbres de France' fit son apparition en 1969 après plusieurs années de rédaction, la collaboration de centaines de collectionneurs et de vastes recherches d’archives. Edité par l’Académie de Philatélie, il ne couvre que... 5 années d’histoire puisqu’il est consacré aux émissions françaises de 1849 à 1853, timbres, histoire postale et oblitérations, comporte plus de 1300 pages et est abondamment illustré avec des planches en couleurs. Depuis, l’encyclopédie se poursuit sous la forme de fascicules centrés sur un sujet.

L’Encyclopédie américaine 'Encyclopedia of United States stamps and Stamp Collecting' (4) fut quant à elle, présentée pour la première fois en 2006 à l’occasion de l’Exposition philatélique mondiale Washington 2006. Avec ses 730 pages abondamment illustrées en couleur, elle est le fruit de nombreuses années de recherches intenses et laborieuses entreprises par plusieurs équipes multidisciplinaires. Comparée à ces deux publications citées en exemple, l’Encyclopédie du timbre-poste d’Algérie qu’on voudrait présenter complaisamment comme étant un joyau unique au monde (sic) fait triste figure. Bâclée en trois mois (dixit son concepteur qui s’enorgueillit de cette prouesse !) par une escouade de journalistes non spécialisés. Trois mois pour couvrir près d’un demi-siècle de production philatélique ! C’est en cela seulement que cette 'encyclopédie' est unique au monde !

On prendra donc cet ouvrage non pour ce qu'il est censé être mais pour ce qu’il est : un beau livre de culture générale qui pourrait s’intituler 'L’Algérie par ses timbres ' et non une encyclopédie du timbre-poste d’Algérie.

Et comme on n’est jamais si bien servi que par soi-même, notre Poste nationale ne s’étant pas contentée d’encenser son produit à tout bout de champ, n’a pas trouvé mieux que de lui réserver l’honneur incommensurable d’être porté sur un timbre-poste, cerise sur le gâteau émis ...le 1er novembre 2007.
En dépit du fait qu’elle est à côté de la plaque, une année et demi après sa sortie, 'L’encyclopédie' demeure inaccessible aux philatélistes qui attendent toujours de pouvoir la consulter sur Internet comme promis par Algérie Poste, en attendant, elle est offerte en cadeau aux huiles et autres VIP ! Du coup, la petite phrase tirée du message rédigé par le Dr. Boudjemaâ Haïchour, ex-ministre des PTIC en guise de présentation de cet ouvrage sonne comme une mauvaise farce : 'Aux amoureux de la philatélie, cette encyclopédie est la vôtre'. !!

Le Cap n°22 du 16 au 30 avril 2009

Du : 16-04-2009
Auteur : Mohamed Achour Ali Ahmed
Source : Le Cap Magazine